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La vallée de l’Euphrate en Syrie

2010 novembre 5
euphrate valley - dura europos

L’Euphrate, vu depuis les murs de Dura Europos

Les manuels d’Histoire en attestent : de l’eau aura coulé sous les ponts de l’Euphrate. Les méandres du fleuve qui fut le berceau de l’humanité s’étendent loin des principales routes touristiques dans un petit triangle syrien calé entre la Turquie et l’Irak.

Comme souvent, quelques cailloux témoignent de ce lointain passé. Rien qui ne justifie de sauter dans le premier avion venu cependant… Presque à portée de jumelles des GIs américains, les ruines de Mari vous promettent de vous transporter 5000 ans en arrière. Ca saute aux yeux d’ailleurs avec un plateau terreux d’où émergent 4 faméliques portions de fondations de murs et où vous pouvez à loisir piétiner des fragments de poteries séculaires. Les quelques trouvailles d’importance ont été emportées depuis bien longtemps, au Louvre pour partie.

On remonte le fleuve comme le temps, jusqu’à trois siècles avant Crucifixion… Le voilà qui paresse sous les fortifications de Dura Europos, cité hellénistique longtemps indépendante. Sans doute l’un des seuls endroits au monde où les cultes de Zeus et du Christ furent contemporains. Les fortifications en question, parfois mi-enfouies sous les dunes de sable, et la citadelle, sont tout ce qui reste debout. Les mêmes vestiges montent la garde sur l’Euphrate un peu plus en amont, un peu plus proches de notre ère, à Halabiya, rejoint par les arcs-boutants effondrés de quelques églises.

euphrate valley - Rasafa

Coucher de soleil sur les ruines de Rasafa. Pas un gus à l’horizon.

Eglises et basiliques réapparaissent à Rasafa, ville de pèlerinage romaine puis byzantine. Enfin un site avec un peu plus de consistance, un peu plus de majesté. La basilique St Sergius a en effet admirablement traversée ces dernières 1500 années, malgré un dédain certain des nouveaux occupants des lieux, les Abbassides. Ils préférèrent prendre soin du Qala’at at Ja’abar voisin. La forteresse dominait alors le bassin fluvial de l’Euphrate, aujourd’hui, elle a les pieds dans l’eau. Le barrage d’Ath-Thaura a noyé la vallée, et collatéralement quelques reliques archéologiques. Le château s’en tire sain et sauf, et c’est un spot rêvé pour aller piquer une tête, même s’il commence à faire frais dans cette région du globe aussi…

euphrate valley - castle qala'at at ja'abar

Plouf ! Le Qala’at at Ja’abar est désormais au milieu du lac Al-Assad


Je vous ai listé l’essentiel du patrimoine local, et confirme qu’il n’y a pas de quoi pousser des hurlements de joie. Mais cette région possède tout de même un charme indéniable.

Certes on sent ici que la situation est un peu plus tendue que dans d’autres endroits du pays, encore que du côté des contreforts du Golan on doit pas se marrer tous les jours. Mais les réfugiés irakiens font régulièrement dans le coin l’aller-retour frontalier synonyme d’extension de visa. Chaque déplacement en bus doit être consigné auprès d’un homme en bleu – en l’occurrence vêtu de noir mais bon… – ; et quelques barrages militaires se feront un malin plaisir à gâcher vos balades.

C’est bien dommage parce que les vertes rives du fleuve sont un bien apaisant paysage comparées aux métropoles congestionnées et bruyantes. Les sites sont bien souvent déserts et vous en êtes le seul explorateur. Comme ils sont un peu perdus dans la cambrousse, on lève le pouce et on est rapidement embarqué par un local à l’anglais très limité qui n’a qu’une envie, c’est de vous faire la conversation. Les autochtones sont d’ailleurs toujours ravi de vous filer un coup de main, et que ce soit en campagne ou dans les grandes villes, on passe ses journées à se faire inviter pour un thé, un café, voire un repas.

euphrate valley - autostop tractor hitch hiking

Le “tracteur-stop” commence à être une habitude.

Nombreux sont les kurdes dans le coin. On aime à parler politique. Et leurs opinions différent nettement des arabes voisins… Un môme qui baragouine à peine quelques mots d’anglais crie un “Fuck Bacher” qui n’aurait pas place autre part… Plus loin, un autre pointe du doigt les tentes de familles de bergers itinérants, et, plein de dédain : “You see them? It is Arabic people. We don’t like them”.

Ici, un quinquagénaire m’explique que son fils est parti faire son service militaire. Depuis 20 ans. 20 ans ? Est-il retenu par l’armée syrienne ? Non, non, il est en Turquie, il fait son devoir auprès du PKK. Et de me montrer des photos écornées de gens en treillis, à table, ou parcourant la montagne. Parfois en armes. Il y a beaucoup de jeunes femmes. Lui-même y a été, de l’autre côté d’une frontière qu’ils veulent abroger, d’un Kurdistan qu’ils demandent et qu’ils nous demandent ; “Is France gonna help us?”. On aime beaucoup Mitterrand, Sarko, moins.

Là, les convives s’en prennent ouvertement au régime de Damas. Parlent des leurs, en prison. De l’école, où la langue kurde est proscrite. Et interpellent. “We can’t go in France, we won’t have the visa. We want to go there… Cause it’s a democracy, we want freedom.”

“In France, people are happy…”

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