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Allez en prison, ne passez pas par la case départ, ne recevez pas…

2011 février 7
Prison Iran - Ambassade americaine

Téhéran. L’un des plus célèbres graffitis qui ornent l’enceinte de l’ancienne ambassade américaine d’Iran.

Ou “Comment finir en taule en Iran, pour Les Nuls”

…un exercice qui n’est sans doute pas d’une grande difficulté, et dont il existe un nombre de variables confinant à l’infini : boire ou acheter de l’alcool, consommer de la drogue, avoir une forme de relation quelconque avec une iranienne, par exemple. Je vais modestement livrer ma méthode, testée et approuvée, donc. Pour rappel, j’ai eu l’immense honneur de passer 15 jours derrière les barreaux à compter du 1er janvier 2011 (bonne année, d’ailleurs).

Une histoire qui nous fait remonter quelques jours en arrière. Aux alentours du 26 décembre, je crois. Mes pérégrinations d’alors m’avaient emmené à Tabriz, une ville importante du nord-est du pays. C’est là qu’entres-autres je rencontrais, au détour d’une boutique de lampes et d’éclairages, le malheureux Luuk, hollandais roux barbu de son état. A cette description, vous vous dîtes que Dame Infortune avait déjà posé son gros vilain doigt sur le pauvre garçon dès son plus jeune âge, vous êtes loin du compte. Pas de pot pour lui, il eût fallut qu’en sus nous nous liâmes d’amitié à cette occasion (oui j’ai torturé mon Bescherelle pour trouver cette tournure cette phrase).

Nos chemins s’y séparèrent immédiatement, mais les routes des backpackers menant toutes à Rome, ou en l’occurrence, à Téhéran, nous nous y retrouvâmes au soir du 31 décembre pour célébrer la nouvelle année à la cathédrale arménienne, où par quelque volte-face étrange du calendrier, les locaux fêtaient une variante locale de Noël, même si pour eux la naissance du Christ intervient quelques jours plus tard. Un spectacle pas si exotique qu’espéré (ndr : pour un athée, aussi ch… qu’une messe de Noël de cathos) si ce n’est le contexte d’islamisme étatique dans lequel il prend place. Passons.

Prison Iran - Cathedrale armenienne

La cathédrale arménienne. Ce cliché, et le précédent, ont été emprunté à Anto, compagnon de route d’un temps, et auteur du très bon mais surtout somptueusement illustré blog LesPassengers

 

Pour en savoir plus sur la vie des Téhéranais, je vous conseille un détour par le webdoc Iranorama.

1er janvier, 16h. Sur l’Iman Khomeini Street, l’imposante Bagh-e-Melli, une porte monumentale, attire l’œil. Belle architecture, décorations superbes, finitions travaillées. Première erreur, nous la franchissons pour faire quelques clichés, explorer la cour, rattraper l’avenue un pâté de maison plus loin. Ce faisant, nous ratons notre objectif : le Musée National iranien.

500 mètres plus loin, nous nous inquiétons donc d’avoir dépassé la bâtisse. A un grand carrefour, arrêt boisson/Lonely. Le guide de Luuk n’est plus d’actualité, du coup je sors mon petit PC pour mater la version pdf, comme d’hab, comme partout. Erreur fatale. Le flic de la circulation lève le sourcil, vient nous voir. Nous on a déjà fini, on remballe, on décolle. “Passports ?”. Ok. Je sors ma photocopie, Luuk son passeport où le tampon d’entrée, bien en règle, porte toujours à confusion en raison de sa date d’émission etc… Rien d’insurmontable. Mon compère essaie de faire la conversation, moi, j’aime pas bien sa tronche de moustachu à casquette. Il crache des trucs en farsi dans son talkie-walkie. Soit.

Se pointent deux barbus en civil dans une Lada. Super. “Come, come. Laptop ?”. Ils nous font monter à l’arrière de leur caisse. Game Over. “Jipi-esse?”. Non, je n’ai pas de GPS, je lui montre le pdf tandis que nous parcourons quelques mètres. Le bonhomme s’engouffre dans un bâtiment bas. Le chauffeur reste et s’emmerde ferme. Il teste notre farsi, peine perdue. Part discuter avec des militaires qui traînent leur kaki le long de la rue désertée.

Dernière conversation libre. On se marre à raconter des conneries avec Luuk. On essaie de prononcer convenablement des extraits du Phrase Book que j’ai récupéré par hasard. “Je n’ai pas acheté de drogue”. “Est-ce qu’on peut s’arranger ? Financièrement ?”. “Je veux parler à mon ambassade !”. Passe une heure.

C’est long. Je m’enquière de ce que peut se reprocher mon compagnon, rien, Luuk est une oie blanche. Pour ma part, j’ai bien fait quelques conneries, dit des choses pas très gentilles sur le régime par mail ou sur Internet. Je suis rentré dans le territoire avec deux cannettes de bière, c’est interdit, c’est con, je l’ignorais. J’ai trinqué au whisky avec des arméniens, l’avant veille. C’est sur la carte mémoire de la caméra, je l’en extrait, la met dans la poche de ma veste.

Deux heures qu’on poireaute. Je demande au chauffeur si je peux fumer, la vitre ouverte. Ok. Mes dernières clopes d’homme libre. J’aurais su, j’aurais bouffé le paquet. Ca va être encore long ? “No, no !”, dis le chauffeur. “Laptop”, avec un geste du doigt qui revient vers la bagnole, “and good by !”.

Trois heures. Bon. Je suis allé en Israël. Des photos, des vidéos ? Bien sûr. Dans le PC. Quelques articles sur le blog. Rien de bien malin, rien de bien méchant non plus, je ne suis pas un grand supporter de l’Etat Hébreux, la condition palestinienne m’intéressait plus. Evidemment, j’avais obtenu le visa sur “free-paper”, entre autre pour pouvoir entrer en Iran. C’est une démarche vraiment unique en son genre : au prix d’un interrogatoire, d’une surtaxe, et d’un backchich aux douaniers jordaniens, on peut rendre son passage en terre hébreux indétectable, sans « stamp » local dans le passeport. Les vidéos sont assez bien planquées. S’ils tombent dessus, je sais qu’ils vont m’emmerder, interrogatoire, une nuit en taule. De toute façon je téléphonerai à l’ambassade. La France, merde. En bon affreux, je ne suis pas le dernier à cracher dessus, mais je suis protégé, je le sais. “Au pire, ils me collent deux semaines à l’ombre”.

Prémonitoire.

Quelque part.

Prison Iran - Mur des Lamentations

Avoir l’air con, Acte I, le Mur des Lamentations…

 

Trois heures et demi. Bon, y a un problème. Luuk sort son portable, est-ce qu’on appelle les ambassades ? On sait toujours pas ce qu’ils nous veulent, on n’a qu’à attendre. Si on est accusés de quelque chose, on demandera à les joindre. Ah ! Le bonhomme ressort avec mon PC. Palabre. Ils sont rejoints par deux hommes, une autre voiture, noire, vitres noires, garée derrière nous. L’un d’eux nous demande nos portables, me sort sans ménagement de la bagnole. La fouille est sommaire, il balance mes liasses de papelards,mes biftons, ma caméra, mes affaires, les clés de l’hôtel, sur le capot. M’amène à l’arrière de la sienne. Sort les menottes. Attaché à la portière, il m’enfile un bandeau sur les yeux. Serré très fort, ça me fait mal. On est vraiment dans la merde. Luuk subit le même traitement, apparemment.

La caisse est nettement plus confortable, on ne sent presque pas les embardées. Nos nouveaux chauffeurs nous intiment de baisser la tête, entre nos genoux. Nous n’avons pas le droit de parler. On nous en extrait une vingtaine de minutes plus tard, et on nous sépare. C’est sans ménagement que l’on m’introduit dans un nouveau bâtiment, yeux bandés . Culbuto humain. Me voilà menotté, face contre le mur, à un radiateur. J’apprendrai plus tard que ce sont les services secrets qui nous détiennent. J’attends. Quelqu’un me met un bandeau plus lâche, enfin.

Allez en prison, ne passez par la case départ, ne recevez pas...

Allez en prison, ne passez par la case départ, ne recevez pas...

Commence l’interrogatoire. Mon interlocuteur parle un anglais correct, avec un fort accent. Il est dans mon dos, avec au moins une autre personne. Des questions sur mon visa, la raison de ma présence, mon parcours. Des questions sur Luuk, beaucoup. Ah. Je vais être accusé d’homosexualité ? Fait chier. J’espère que Luuk a des tonnes d’albums photo de ses ex sur facebook, parce que c’est pas la liste de mes conquêtes féminines, tout sauf impressionnante, qui va me dédouaner. Remarque au moins là, on est innocent.

Puis “Have you been in Israel ?”. Bien…

Je demande à parler à mon ambassade. Après l’interrogatoire, promis. Ca m’arrange moyennement tout ça. Ok, ils ont les photos et les vidéos. Je vois ma gueule de touriste souriant devant le Dôme du Rocher. Le Mur des Lamentations. La Mosquée Al Aqsa. Je nie un peu, c’est les photos d’une copine, j’y étais pas moi, promis. “We see somebody on picturezz’ ” (non, pour de vrai ?), “It is not a “she”, it is a “he” ”. Super. La question qui coince, tu pourrais pas me la poser dans un anglais correct au moins, connard ?

Prison Iran - Dome du Rocher

Eeeetttttt… Le Dôme du Rocher ! Une photo à l'évocation de laquelle nombre de policiers iraniens se poilent encore, sans doute.

 

Le moment n’est pas à l’échange grammatical, mes aveux en poche, j’ai droit à une gamelle, riz-haricots rouges. Pas d’ambassade. On relève brièvement mon bandeau, le temps de me braquer un téléphone portable sous le nez. Quatre lettres, « SONY ». Flash. Retour à la portière de ma bagnole, tu m’as manquée toi tiens. Je crois comprendre que Luuk est à côté. Bienvenue dans ma galère, compañero. Non content d’être dans la merde, voilà que j’y plonge un innocent. C’est toujours bon pour le moral.


Une heure ? plus tard, arrêt final. On nous confie à de nouveaux gus, on nous trimballe. Dans une petite pièce, je trouve une chemise et un pantalon de pyjama, des claquettes. Je glisse ma SD card dans la pocket money de mon futal, si on me la demande à l’interrogatoire, vaut mieux pas que je l’emmène en cellule. Je garde mes lunettes. On nous retire le bandeau pour voir le docteur. T’en fais pas j’ai pas d’allergie. Ah si, le pollen. Ca devrait aller. A demis-mots en français, je fais comprendre à Luuk que nos hôtes n’ont pas apprécié toutes les étapes de mon parcours, comme on pouvait s’y attendre.

 

neyestani evin bandeau

Dans ma version, les couloirs étaient muets. Et aveugles. ©Mana Neyestani, confère pied de page

 

Deux bâtisses plus loin, on nous introduit dans un couloir qui va vite nous devenir familier. Une porte est ouverte à droite. Good night Luuk. Trois mètres après, à gauche, on m’introduit dans ma nouvelle piaule. Dépose ton bandeau à l’entrée.

Couloir d'Evin

Vieille photo. Empruntée au blog Iran en Lutte. Vous comprendrez que je ne vous ai pas ramené beaucoup de clichés… Mais c'est ressemblant.

 

La lourde porte d’acier, ornée de ses deux trappes, une en haut, une en bas, se ferme sur une pièce de 1m50 sur 3. Il y a un petit bout de carton. A glisser dans la grille de la trappe du bas, pour appeler le gardien, me fait-on comprendre en quelques gestes. Attenant, 1m² consacré à des toilettes turques, et un lavabo. Il y a un loquet au battant de la petite porte des WC. Pourquoi…? Deux bouts de savon. Une amphore en plastique avec un long embout, pour se laver les fesses après avoir fait ses besoins. Ce n’est pas sale. Ce n’est pas propre. Deux fines ouvertures en hauteur, grillagées, barrées de persiennes métalliques horizontales. Quatre bouches d’aérations rondes, énormes. Un caillou gravée d’une mosquée, servant à symboliser la direction de La Mecque pour les afficionados de la courbette. Trois couvertures sur le tapis de sol criard.

Bienvenue dans ton nouveau chez toi.


clichés : lespassengers.com, Iranenlutte

A suivre…

>>> SUITE (article 2) >>>

Mana Neyestani Une metamorphose iranienne Mana Neyestani a publié en 2011 « Une Métamorphose Iranienne » (Editions Ca et Là), où il raconte son séjour dans la même prison d’Evin. En 2006, son dessin d’un cafard utilisant un mot Azeri lui vaut trois mois de taule. Il connaîtra ensuite d’énormes difficultés, lors de sa fuite, pour trouver un pays d’accueil, la France lui accordant le statut de réfugié politique en 2010.

Allez en apprendre plus sur sa bande dessinée, et n’hésitez pas à vous la procurer ;).

19 Responses leave one →
  1. Martine Bonnavenc permalink
    février 8, 2011

    j’adore ta façon d’écrire, j’attends la suite avec impatience !!

  2. février 9, 2011

    Triste histoire.

  3. François permalink
    février 18, 2011

    La suite, la suite ! Quand je pense que lorsque je suis parti m’installer en Turquie, tout le monde me parlait de Midnight Express… Alors qu’on vit si tranquillement chez les Laïcs…

  4. Catherine permalink
    février 25, 2011

    Haaaa, les joies du voyage!!!

  5. mars 21, 2011

    Bon bah ca va prendre plus de temps que prevu cette affaire (confere http://www.f0ll0w-me.fr/la-petite-mort-du-blog/trip). Desole !!!

  6. mai 1, 2011

    Si seulement tu savais a quel point je suis heureux de vous avoir laisser a Téhéran le 26 décembre. Certes je n’ai pas une aussi sensationnelle histoire a raconter, cela dit 15 jours en taule, ça m’aurait mis en retard sur mon planning ca. En plus je suis sur qu’ils avaient nulle part pour garer ma moto chez les services secrets ;-) Excellent style en tous les cas, très agréable a lire!

  7. Rhea Sylvia permalink
    juin 4, 2011

    « l’imposante Bagh-e-Melli attire l’œil. Belle architecture, décorations superbes, finitions travaillées. Première erreur »

    C’est drole, la seule fois que l’on m’a un peu emmerdee en Iran pour les photos (visionnage de la carte, palabres, obligation d’effacer) c’etait exactement dans le meme coin, dans la petite cour derriere la porte. Si j’ai du fournir un certain nombre de renseignements sur les raisons de ma presence en Iran, personne n’a en revanche songe a me faire donner les mots de passe de mes boites mails.
    Dommage pour eux, car ils auraient sans doute trouve la une occasion inesperee d’ecouler un bon stock de confiture de carotte carcerale… une bonne dizaine de mails de propagande gracieusement envoyes par les moudjahidines du peuple dont j’avais fait la betise de signer une petition, un jour d’egarement, place de la Sorbonne (en depit de demandes reiterees de me retirer de leur liste de diffusion).
    Dommage pour moi. Manquee l’occasion de commencer serieusement le regime force a base de confiture de carotte (plus sain et plus fortifiant que celui a base de kababi pourri) que je projettais vaguement, velleitaire, d’entamer depuis un certain temps deja sans parvenir a trouver la motivation suffisante.
    Partie remise.

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